#ENQUÊTE | #JacquesKyabula , gouverneur du Haut-Katanga, disparaît après des propos controversés. Fuite, alliances et retour orchestré : l’affaire révèle les coulisses mouvantes du pouvoir congolais. On éclaire votre lanterne dans cette enquête.
Le 1er juillet 2025, place de la Poste à Lubumbashi. Sous un soleil déclinant, Jacques Kyabula s’adresse à ses partisans lors d’un meeting organisé en marge de la signature de l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda. Il ose alors une phrase bouleversante dans le contexte politique du pays : « Cette guerre vient du Rwanda, mais il n’est pas question de nous battre contre Kabila et Nangaa, qui sont nos frères. » Ces mots, à la fois conciliants et symboliquement forts, déclenchent une onde de choc jusqu’aux cercles du pouvoir à Kinshasa. Anciens alliés, Kabila et Nangaa sont ainsi présentés comme des « frères congolaise » — une formulation interprétée comme un glissement vers un discours dissident, voire ambigu face aux accusations circulant sur les liens entre l’ancien président et la rébellion M23/AFC.
10 juillet, moins de dix jours plus tard : un télégramme officiel de Jacquemain Shabani, vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, ordonne à Kyabula de se rendre à Kinshasa « dans un délai de 48 heures » pour une consultation urgente. Le motif institutionnel est énoncé — consultation — mais l’arrière-plan politico-sécuritaire est clairement sensible.
11 juillet, dans la résidence officielle du gouverneur, au quartier Golf. La résidence est plongée dans la pénombre. Les lumières vacillent. L’air est étouffant. Des murmures circulent dans un salon feutré où seuls des proches triés sur le volet s’accordent à peine des regards. Les portables sont éteints, glissés dans des pochettes métalliques pour éviter toute interception. Dans un huis clos oppressant, racontent des sources sécuritaires consultées par BETO, quelques conseillers triés sur le volet se pressent autour d’une table basse. Leurs voix sont basses, leurs regards fuyants. Ils savent que la convocation venue de Kinshasa quelques heures plus tôt n’est pas une formalité : c’est une sommation. « Excellence, si vous allez à Kinshasa, c’est la fin. »
La phrase tombe comme un couperet. Un conseiller, figure ancienne de son entourage, regarde son gouverneur droit dans les yeux. Le message est clair : s’il répond à l’ordre du ministère de l’Intérieur, c’est probablement pour ne pas revenir. Kyabula, d’ordinaire sûr de lui, paraît hésitant. Il joue avec le coin d’un dossier cartonné où la convocation est glissée. « Et si je refuse ? » demande-t-il, la voix plus sourde qu’à l’accoutumée. La réplique fuse, presque brutale : « Alors il faut partir. Tout de suite. »
Dans la pièce, chacun comprend qu’il s’agit désormais de choisir entre l’humiliation d’une arrestation et l’incertitude d’une fuite. Les portables sont collectés, enfermés dans une pochette métallisée pour éviter toute interception. À l’extérieur, un aide de camp ferme un portail latéral rarement utilisé. Peu après, une jeep sombre démarre, phares éteints, empruntant une route secondaire que seuls les chauffeurs de confiance connaissent.
Dans les rues de Lubumbashi, personne ne se doute encore de ce qui se joue. Mais à l’aube, la rumeur commence à courir : le gouverneur n’est plus visible, ses bureaux restent vides. Pour Kinshasa, une évidence s’impose : le chef de l’exécutif provincial est désormais introuvable. Dans les heures qui suivent, il sera officiellement déclaré « porté disparu ».
Lorsque Kinshasa officialise, le 18 juillet, un avis de recherche contre Jacques Kyabula, celui-ci n’est déjà plus en RDC. D’après plusieurs sources sécuritaires, il a quitté le territoire par des voies discrètes, loin des radars officiels, et trouvé refuge à Johannesburg, capitale économique de l’Afrique du Sud. Une destination qui n’a rien d’anodin : depuis deux décennies, cette métropole sert de point de chute à de nombreux dignitaires congolais en disgrâce.
Une villa anonyme, un gouverneur en sursis. À son arrivée, Kyabula s’installe dans une villa impersonnelle d’un quartier huppé, entourée de hauts murs et de caméras. L’endroit ne trahit rien de son identité : pas d’enseigne, pas de visiteurs connus, seulement quelques proches triés sur le volet. À l’intérieur, l’ambiance est morose. « Il passait ses journées à marcher de long en large, téléphone à la main, répétant qu’on ne pouvait pas l’abandonner », raconte un membre de son entourage resté fidèle.
Des témoignages recueillis indiquent qu’il avait pris soin, quelques jours plus tôt, de transférer d’importantes sommes vers des comptes à la First National Bank (FNB). Ces fonds lui assurent un filet de sécurité : payer ses gardes, financer son séjour, mais aussi conserver un poids dans les négociations politiques qu’il s’apprête à entamer.
Le pari d’une reconversion rebelle. Car dans son esprit, Johannesburg n’est pas un exil définitif, mais une salle d’attente. L’étape transitoire avant de rejoindre un autre camp : celui de la rébellion. Kyabula se tourne vers d’anciens camarades du PPRD, aujourd’hui intégrés à l’AFC/M23, le mouvement politico-militaire actif dans l’Est.
Le raisonnement est limpide : il offre argent, expérience et visibilité médiatique, et en échange, il obtient protection et relance sa carrière politique sous une bannière nouvelle. « Ils doivent m’accepter, ils n’ont pas le choix », répète-t-il à ses interlocuteurs, persuadé que le mouvement, en quête de figures publiques, verra en lui une aubaine.
Mais les jours passent et les réponses tardent. Les intermédiaires tergiversent, les contacts hésitent. Kyabula multiplie les appels, fait passer des messages par des alliés restés à Lubumbashi, mais le silence s’installe. Ses nuits sont rythmées par les visites discrètes d’hommes de confiance, des discussions à voix basse autour de la table du salon, des plans d’itinéraires esquissés puis abandonnés.
Note de la rédaction
Cet article repose sur des sources diverses, incluant des témoignages recueillis auprès d’acteurs politiques et sécuritaires. Plusieurs éléments rapportés relèvent d’allégations non confirmées ou de récits contradictoires. Aucune des personnalités citées n’a souhaité réagir au moment de la publication.
Le texte doit être lu comme une enquête journalistique en cours, reflétant l’état des informations disponibles et des récits circulant, sans préjuger du résultat des investigations officielles.
Redacteur BETO.CD
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